Entre 2021 et 2025, le Projet de déploiement des technologies et innovations environnementales pour le développement durable et la réduction de la pauvreté (PDTIE) a ouvert une nouvelle ère pour l’innovation verte dans le Bassin du Congo. Il a formé 70 000 jeunes, soutenu 151 innovations et permis la création de deux Fab Labs au Cameroun et en RDC. Une nouvelle génération d’innovatrices et d’innovateurs se distingue.

Justine Neema fabrique des tuiles de sable et de déchets plastiques. Rebecca Kapanga s’attaque à la drépanocytose avec des plantes congolaises. Eric Parfait a imaginé une machine à crépir autonome, tandis que Lynda Tchawa a développé un logiciel d’étude thermique pour la construction durable. Stéphanie-Audrey Djomo transforme des sous-produits agricoles et des larves de mouches en alimentation piscicole. Clovis Mbarga a inventé une récolteuse de manioc et Benny Vuangi mise sur un filtre antibactérien pour améliorer la qualité de l’eau.

Ces innovatrices et innovateurs font partie des 151 talents accompagnés au Cameroun et en République démocratique du Congo (RDC) entre janvier 2021 et septembre 2025 par le Projet de déploiement des technologies et innovations environnementales pour le développement durable et la réduction de la pauvreté (PDTIE).

cDerrière cette initiative, l’ambition était claire : bâtir un environnement de recherche et d'innovation (R&I) inclusif, capable de soutenir durablement la transition écologique et sociale et de favoriser l’employabilité de la jeunesse des deux pays.

L’agriculture, les déchets, la santé, la construction, l’eau et l’énergie : autant de secteurs soutenus par le PDTIE face à l’urgence climatique et à la pression alarmante sur les ressources. Le Bassin du Congo est le deuxième poumon de la planète. Il est capital d’y renforcer les systèmes nationaux de recherche et d’innovation et de définir localement les solutions prioritaires.

 Ouvrir les vannes de la recherche

Les résultats du PDTIE ont dépassé les espérances : 7200 jeunes formés en présentiel (dont près d’un tiers de femmes), 69 800 à distance, près d’une centaine de demandes de brevets déposées, autant d’articles scientifiques rédigés, 85 thèses et mémoires soutenus et deux Fab Labs opérationnels, pour un budget global de 5 millions d’euros. Derrière ces chiffres, l’action coordonnée et soutenue d’une quinzaine de structures partenaires, principalement des centres de recherche, établissements publics d’enseignement supérieur et des groupes de réflexion.

À la coordination du projet de la Mission de promotion des matériaux locaux (Mipromalo) à Yaoundé, Joseph Pondi s’enthousiasme : «Dans la recherche, nous avons souvent tendance à suivre des lignes directrices strictes. Au contraire, il faut ouvrir les vannes de la recherche et de l’imagination!» Il précise : «Cette initiative a favorisé une véritable synergie entre chercheurs, étudiants et entrepreneurs issus de divers horizons et universités du Cameroun, autour d’un même objectif : stimuler l’innovation en construction durable. Le projet a également permis de démystifier le processus de brevetage, longtemps perçu comme complexe ou inaccessible». L’équipe de la Mipromalo a d’ailleurs obtenu 10 modèles industriels et huit brevets auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), les premiers de l’histoire de ce centre de recherche.

Patrick Memvanga, coordinateur du CRITESS* et du PIRAM** au sein de l'Université de Kinshasa, en RDC, résume cette odyssée scientifique en douze leçons, parmi lesquelles «la nécessité d’une planification rigoureuse» et «l’importance de la confiance mutuelle» au sein des équipes. Ses chercheurs ont su mobiliser les ressources locales en y ajoutant une dose décisive d’innovation. Résultat : 29 innovations développées entre Kinshasa, Bukavu et Butembo. «Nous avons notamment publié 15 articles scientifiques sur les nanoparticules vertes et une partie des innovations en sont issues», raconte-t-il avec joie. Sous la marque Royal, l’équipe a mis au point une gamme complète de produits : antipaludique, dentifrice, savon, larvicide…, dont plusieurs disposent déjà d’autorisations de mise sur le marché. «Nous avons même créé la pharmacie Royal pour valoriser et distribuer nos produits, et nous commençons à nouer des contacts prometteurs pour les plus performants», ajoute le chercheur. Aujourd’hui, il fait partie des dix chercheurs les plus cités de RDC.

cMerveille Ngbanzo Tata-Ndinga, étudiante en pharmacie à Kinshasa et innovatrice au CRITESS, a déjà produit et écoulé 2000 boîtes de son antipaludique en trithérapie renforcé. «Nous apportons notre petite pierre à la santé publique. Il faut conscientiser les jeunes, en particulier les femmes, et leur montrer quelles aussi peuvent innover pour sauver des vies. Moi, cest ma priorité.»

Encourager les femmes à innover

En effet, dans les carrières scientifiques, les femmes restent encore sous-représentées : moins de 10 % des chercheuses dans les centres de recherche en RDC et moins de 22 % au Cameroun. Grâce au PDTIE, où elles sont fortement représentées, les femmes portent des idées et trouvent de nouveaux espaces de reconnaissance et de collaboration.

«Travailler directement avec des chercheurs et des laboratoires me permet daccéder à du matériel et à dautres compétences», souligne la chercheuse et entrepreneure Milice Jumla Jinka, qui transforme des cabosses de cacao en emballages biodégradables et en papier, avec l'appui de l’École nationale supérieure polytechnique de Douala (ENSPD). «J’aime innover, c’est ce qui donne du sens à mon parcours. J’encourage toutes les femmes à innover!»

Le projet a même permis à une jeune fille de représenter le Cameroun à la CdP28 sur le climat à Dubaï en 2023 : Tatiane Marina Abo, qui a inventé des panneaux isolants à base de fibres de bananier et de ciment écologique.

Valoriser les ressources locales

Les innovatrices et innovateurs utilisent les matières premières locales pour en faire des ressources d’avenir. «Cest toute une richesse proche de nous que nous négligeons», témoigne Aminatou Hamida. À partir de résidus de bananiers plantains, cette ingénieure de l’École nationale supérieure des sciences agro-industrielle (ENSAI) de l’Université de Ngaoundéré a mis au point des emballages pour céréales et légumineuses imprégnés d’extraits de plantes locales agissant comme une barrière insecticide naturelle : « au départ, personne ne croyait à cette idée. On me demandait comment un déchet pouvait devenir une ressource valorisable. Le fait dappartenir à un projet ma permis de maturer mon idée dinnovation.»

Deux Fab Labs qui changent la donne

cPar ailleurs, l’une des grandes réussites du PDTIE réside dans la mise en place de deux Fab Labs, c’est-à-dire des ateliers de fabrication collaboratifs équipés de matériel de prototypage et de technologies de pointe.

Le premier, le Fab Lab Énergies renouvelables de l’École nationale supérieure polytechnique de Yaoundé (ENSPY), a déjà formé plus de 460 étudiants et produit plusieurs prototypes : picoturbines hydroélectriques en bois sélectionnés, avec un brevet à la clé. «En plus des autres équipements, nous avons surtout acquis une machine de fabrication mécanique à commande numérique cinq axes, unique dans un établissement universitaire camerounais, capable de fabriquer toutes les pièces possibles et imaginables, ainsi que 30 licences de logiciels de conception et de fabrication assistée par ordinateur pour le pilotage de ladite machine, pour la réalisation des projets des innovateurs et des chercheurs», détaille Joseph Kenfack, responsable du Fab Lab. «C’est un projet très structurant pour nous, qui concrétise des désirs que nous avions depuis plus de dix ans», ajoute Joseph Voufo, responsable technique et formation du Fab Lab. 

Malgré les procédures complexes sur le plan national et international et les défis techniques liés à l’installation de cette machine de dix tonnes, l’enthousiasme des équipes ne s’est jamais essoufflé.

Même esprit à Bukavu, en RDC, où l’équipe du Fab Lab Éco-Déchets continue d’avancer malgré les contraintes sécuritaires et économiques. Lancé au sein de l’Université évangélique en Afrique (UEA), ce Fab Lab dispose d’une cinquantaine d’équipements modernes répartis sur plusieurs espaces : atelier de fabrication numérique (impression 3D, électronique, IoT, robotique, découpe laser, broderie numérique), atelier de travail du bois, du métal et du plastique, et espace multimédia. 

Déjà 160 personnes ont été formées (dont 40 % de femmes) et le programme FabKids initie les jeunes de 12 à 15 ans aux technologies. Six prototypes ont vu le jour, dont des poubelles intelligentes et divers objets conçus à partir des matériaux recyclés.

c«Le sentiment d’appropriation est de plus en plus tangible, aussi bien parmi les équipes que chez les étudiants», explique Fabrice Lukeba, coordinateur du Fab Lab. «Dans le domaine des déchets, certains innovateurs arrivent avec des projets très ambitieux, convaincus de pouvoir tout transformer du jour au lendemain. Nous leur expliquons alors les nombreux défis à relever avant d’y parvenir!» Il poursuit : «Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est la dynamique de la part des femmes ou de très jeunes filles. Résilientes et courageuses, elles ne soumettent jamais de projets par opportunisme, mais par conviction.»

La benjamine des innovatrices, Léa Kemwela Bashibe, n’avait que 16 ans lors du dépôt de son projet : une couveuse automatique pour l’aviculture rurale, conçue avec une pompe à chaleur. «Tous les jours, sa mère quittait son petit commerce pour venir l’aider à soumettre son dossier. Cela nous motivait à l’accompagner», confie Fabrice Lukeba.

Sur les 151 innovations financées, 29 entreprises ont été créées, six produits ont déjà obtenu une autorisation de mise sur le marché, et 74 emplois décents ont été générés. Enfin, à travers ses cours en ligne sur les métiers et technologies de l’environnement, structurés autour de 79 modules en ligne, le projet a permis de diffuser un savoir continu et accessible, touchant des dizaines de milliers de jeunes dans plus de quarante pays francophones en développement.

Un nouveau projet avec plus de 500 jeunes et femmes bénéficiaires

Ainsi, le PDTIE a-t-il promu une approche inclusive de l’innovation, fondée sur la reconnaissance des savoirs autochtones, le brevetage et l’accès effectif des populations à ces innovations. Les résultats du PDTIE ont d’ailleurs servi de base au développement d'un nouveau projet régional de l’Organisation internationale de la Francophonie, intitulé « Soutien aux initiatives environnementales dans le Bassin du Congo », doté d'un budget de 4,775 millions d’euros. Ce nouveau projet vise à mettre à l'échelle régionale les démarches d’éco-innovation en finançant des dizaines de structures nationales, acteurs clés de cet écosystème, pour accompagner des centaines de femmes et de jeunes porteurs d’initiatives environnementales.

Les innovatrices et innovateurs du Bassin du Congo vont continuer de s’affirmer en tant qu’acteurs majeurs de l’innovation verte, portés par la richesse exceptionnelle de leur territoire.

 

Les partenaires du projet

 

Les appuis techniques et financiers

 

Le PDTIE a été mis en œuvre par l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), organe subsidiaire de l’OIF,

en partenariat avec l’Université Kongo en RDC et Ingénieurs Sans Frontières au Cameroun, avec l’appui de l’Organisation des États d’Afrique,

des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) et l’Union européenne (UE), dans le cadre du Fonds ACP pour l’Innovation.


 

Les structures partenaires


 

- Centre d’analyse et de recherche sur les politiques économiques et sociales (CAMERCAP-PARC) du Cameroun

- Centre de Surveillance de la Biodiversité - Université de Kisangani (CSB/UNIKIS)

- École Nationale Supérieure des Sciences Agro-Industrielles (ENSAI)

- Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Douala (ENSPD)

- École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé (ENSPY)

- École régionale post-universitaire d'aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux (ERAIFT)

- Forêts et Développement Rural (FODER)

- Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD)

- Mission de Promotion des Matériaux Locaux (MIPROMALO)

- Université Évangélique en Afrique (UEA)

- Université de Goma (UNIGOM)

- Université de Kinshasa (UNIKIN)

- Université de Yaoundé II

 

*CRITESS : Centre de recherche et d'innovation technologique en environnement et en sciences de la santé.

**PIRAM : Pôle interuniversitaire d'innovation pour l'implémentation d’une approche verte de lutte contre la résistance aux antimicrobiens

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