Chapeau

Pendant dix semaines, jusqu'aux délibérations du jury, retrouvez un extrait d'un des 10 romans finalistes du 12e Prix des 5 continents.

Publié le : 10/07/2014
{{1er extrait : {Retour d'Outre-mer} de Julia Pawlowicz (Pologne/Québec) Éditions Triptyque, Montréal, 2013 (extrait, pages 98-99). }} "{Tomek, lui aussi, a vécu à la frontière de deux identités, dans cette zone d’incertitude bercée de nostalgie qui tire les enfants d’immigrants à la fois vers l’avant et vers l’arrière. Tous les samedis matin de son enfance, il les a passés à l’école du consulat général de Pologne, perché rue des Pins, sur le mont Royal. Il se souvient des réveils brumeux de ces jours que ses parents arrachaient à leur week-end. La voiture. L’autoroute déserte. L’asphalte. Les lampadaires qui défilent et strient le ciel bleu. Un, deux, trois, vingt, cent, cent quarante et un. Les paupières qui s’alourdissent. Puis le centre-ville, les gratte-ciels, et enfin le chemin de la montagne, escarpé, amusant, parsemé des grandes demeures de la rue des Pins cachées, ironiquement, sous les érables. Le drapeau blanc et rouge de la Pologne devant le consulat et, en bas, le centre-ville atrophié des matins volés aux jours ouvrables. Tomek avait peu d’amis dans cette classe, qui était en quelque sorte un modèle réduit de la communauté polonaise de Montréal et des environs. Ou une esquisse, plutôt, de ce que cette communauté allait peut-être devenir. Impossible de revoir un de ces gamins par hasard, à Pointe-aux-Trembles, impossible de partager avec l’un d’eux autre chose que ces quinze minutes de récréation sucrée durant laquelle chacun était invité à manger un beigne aux prunes ou une torsade au pavot. Pas d’amitié, seulement une superposition de leurs existences sans réel point de rencontre. Une vraie communauté immigrante, un assortiment disparate de gens sans rien en commun a priori, que leur vieille identité dont ils ont pris le risque de se distancer et qu’ils essaient en même temps de protéger. Tomek, dans cet univers bilingue et la plupart du temps trilingue, apprenait le polonais en même temps qu’il parlait français et anglais aux enfants dans la classe quand le professeur n’écoutait pas. Cette routine s’était poursuivie avec un succès mitigé jusqu’à son adolescence durant laquelle il s’était révolté comme on se révolte à cet âge : non pas toujours contre ce qui nous oppresse en vérité, mais contre ce qui est accessible, contre ce qu’il est possible de détruire ou de défaire. Contre l’apprentissage d’une langue qu’il refusait de lire dans les livres (cela lui prenait trop de temps), qu’il ne parlait qu’avec un vocabulaire de quelques centaines de mots (toujours les mêmes) seulement à la maison avec les trois mêmes personnes – père, mère, sœur?– et qu’il n’avait jamais l’occasion d’employer dans la vie courante (aucun lien avec la communauté, aucun désir de voyager en Pologne « sur la trace de tes origines, non???», comme disait Maria). Il n’avait pas fait ensuite d’effort conscient pour oublier, ou pour se défaire de ce qu’il avait appris, mais il avait remisé cette troisième langue dans un endroit obscur ou même secret de son cerveau. Quelque part entre le folklore et le souvenir. Loin du tableau vert sur lequel crissait une craie, quand le professeur traçait des mots compliqués truffés de w, de z et d’autres consonnes dures, farouches, parfois même couronnées d’accents.}" © Triptyque 2013 « Les droits de propriété littéraire et artistique de l'extrait auquel l’OIF donne ici accès appartiennent aux éditions Triptyque. L'accès au service ne donne droit qu'à la consultation de l’extrait, à l’exclusion de tout acte de reproduction ou de diffusion. Tout acte accompli en méconnaissance des conditions d'utilisation constitue une contrefaçon. » ---- [{{Biographie de l'auteure et résumé de l’œuvre}}->http://www.triptyque.qc.ca/argu/arguRetour.html]


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