Retrouvez la tribune de Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie et Chrysoula Zacharopoulou, députée européenne et médecin, rapporteuse sur la stratégie Union européenne-Afrique, parue dans le « Monde », le "Financial Times" et "Der Spiegel".

Un an après le début de la pandémie de Covid-19 qui a fait plus de 2,4 millions de morts dans le monde, l’humanité a fait face en accomplissant un exploit scientifique historique : des vaccins ont été développés et certifiés en un temps record.

En combinaison avec d’autres outils de santé publique éprouvés que de nombreux pays ont utilisés avec succès pour supprimer la transmission, les vaccins offrent désormais un moyen de sortir de la crise. Le monde d’après peut être autre chose qu’un slogan.

Ce monde d’après justement. Tous s’accordent à dire que la pandémie a mis en exergue l’interconnexion de nos sociétés au Nord comme au Sud, et a permis la prise de conscience des menaces communes. Le concept de One Health, qui montre l’interdépendance de la santé humaine, de la santé animale et de la santé des écosystèmes, est désormais indiscutable. Une évidence s’impose donc : nous devons transformer la crise que nous vivons en une opportunité pour construire un monde plus durable, équitable et solidaire, en particulier dans le domaine de la santé.

Mais ce monde n’est pas encore tout à fait à portée de main : après le choc provoqué par le virus se profile désormais un autre danger, celui d’une fracture entre pays du Nord et pays du Sud dans l’accès au vaccin.

Les conséquences de ces inégalités pourraient bien provoquer une rechute dont nous ne soupçonnons pas encore l’ampleur. Tout protectionnisme vaccinal se retournerait vite contre les pays les plus riches : il accélérerait l’émergence d’une autre menace, celle de la multiplication de la circulation des variants, qui pourrait anéantir leur tentative de se protéger.

Au-delà de l’acte de solidarité et de l’impératif moral qu’elle représente, la vaccination rapide dans les pays du Sud est donc une question de sécurité pour tous. Car l’Afrique ne demande pas la charité, mais simplement l’égalité et l’équité d’accès aux vaccins, au même titre que les pays d’Europe. A ce jour, force est de constater que les pays africains ne peuvent même pas accéder aux vaccins qu’ils sont prêts à payer, car ceux-ci sont déjà précommandés par les pays riches.

Face à ce défi, la seule réponse possible est celle de la solidarité et du multilatéralisme. L’Union européenne et la France notamment, en partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont poussé, en avril 2020, à la création du mécanisme ACT-A [Accélérateur ACT] et de son pilier vaccin, le Covax [Covid-19 Vaccine Global Access], qui doit permettre un accès équitable et juste à la vaccination à l’échelle mondiale.

L’Afrique ne doit en effet pas être condamnée à une vaccination au rabais : le continent doit avoir accès à des vaccins certifiés, homologués et déployés dans le cadre d’une campagne de vaccination menée avec l’appui de l’OMS, de l’Alliance du vaccin (GAVI) et de l’Unicef.

Au-delà de l’acte de solidarité et de l’impératif moral qu’elle représente, la vaccination rapide dans les pays du Sud est donc une question de sécurité pour tous

Hier, le Ghana est devenu le premier pays à recevoir des doses par le biais du mécanisme Covax et demain, la Côte d’Ivoire sera le premier pays francophone à bénéficier de cette initiative historique et innovante.

Mais il faut faire beaucoup plus. La résilience des systèmes de santé africains se joue maintenant. C’est pourquoi l’Europe doit être au rendez-vous et être la force motrice pour accélérer le calendrier de livraison des doses de vaccin. Cette voix s’est fait entendre, puissamment, au G7. Elle doit maintenant être convertie en des résultats concrets, visibles et perceptibles par nos opinions publiques européennes et africaines.

L’un des leviers les plus importants pour accélérer drastiquement le calendrier de livraisons et permettre à l’Afrique de vacciner ses soignants, c’est un mécanisme de dons de doses. C’est l’appel lancé par le président Macron et soutenu par l’OMS. Le transfert immédiat de ces doses vers l’Afrique ne pénalisera pas le rythme des campagnes de vaccination dans les pays européens.

Au contraire, ce geste en renforcera l’efficacité : il est illusoire de penser que l’Europe pourra vivre avec le virus si l’Afrique ne le maîtrise pas aussi. Pour être à l’échelle, ce mécanisme de dons de doses doit être porté par un nombre critique d’Etats membres de l’Union européenne.

Si cet acte de solidarité est tenu, il sera alors possible, dans un second temps, de déployer massivement une campagne de vaccination en Afrique. C’est ce que permettront les annonces importantes de contributions supplémentaires faites lors de la dernière réunion du G7. Mais ces annonces risquent de ne pas porter leurs fruits si elles ne sont pas précédées d’un geste de solidarité immédiat.

Les pays africains ne peuvent même pas accéder aux vaccins qu’ils sont prêts à payer, car ceux-ci sont déjà précommandés par les pays riches

Face à ce virus qui expose si durement notre vulnérabilité mais aussi notre interdépendance, jamais la communauté de destins entre l’Afrique et l’Europe ne s’est illustrée de manière aussi limpide.

Il va donc de soi que la santé devra être au cœur du nouveau partenariat entre nos deux continents. La vaccination est le premier défi, mais un autre combat s’impose : celui du renforcement des systèmes de santé des sociétés africaines plus que jamais en quête de résilience.

L’Union européenne est un partenaire essentiel de l’Afrique. Ce qui se joue dans ce tournant, ce n’est pas un concours d’influence ni une lutte géopolitique, c’est la capacité de nos continents à poser les bases d’un nouveau projet solidaire. La gestion de la pandémie est le premier « test case » de notre capacité à relever ensemble des défis communs qui vont se multiplier dans les années à venir.

Le Conseil européen se réunit aujourd’hui. Nous l’appelons à permettre une montée en puissance immédiate du mécanisme Covax à travers le don de doses, afin de protéger au plus vite les populations africaines et les soignants en priorité.

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