Entretien avec Aïcha Bah Diallo

Webzine "Education des filles et formation professionnelle des femmes"

cMa vie est ponctuée par la question de l’éducation. En tant qu’enfant d’abord; dans la famille et à l’école ; en tant qu’enseignante, ministre de l’éducation, sous-directrice générale pour l’éducation à l’UNESCO ensuite. L’éducation, je ne connais que cela !

Mon principal souci dans la vie a toujours concerné la façon d’amener les filles à aller à l’école. C’est avant tout dans mon pays la Guinée que j’ai pu le constater : les filles n’étaient pas là. Il fallait certainement corriger quelque chose et à cet égard, la première conférence mondiale sur l’éducation pour tous, qui s’est tenue en 1990 à Jomtien en Thaïlande, s’est révélée fondamentale. Même si éducation pour tous pour l’an 2000, le slogan de l’époque s’est avéré optimiste, nous avons pu constater les progrès effectués depuis cette date.

L’éducation des filles est l’épine dorsale du développement durable. Sur les dix-sept objectifs du développement durable à l'horizon 2030 pour assurer la paix et la prospérité pour les peuples et la planète, quatre d’entre eux concernent les filles et les femmes : l’objectif trois relatif à la santé et le bien-être, l’objectif quatre relatif à éducation de qualité pour tous, l’objectif cinq relatif à l’égalité des sexes, l’objectif huit qui relie le travail des femmes à la croissance économique.

Pourquoi l’éducation des filles et des femmes est-elle si importante ? Parce qu’elle favorise l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Parce que l’effet positif et significatif de l'éducation sur les revenus du travail n’est plus à démontrer - chaque année d’éducation supplémentaire produit un gain de l’ordre de 20% - et contribue directement à la réduction de la pauvreté. Parce qu’elle permet aux femmes de connaître leurs droits, et de les réclamer. Parce qu’elle les autorise à participer à la vie économique, sociale et politique de leur pays. Parce que, parce que... Les finalités dépassent largement la simple énumération.

La question de la santé par exemple ne s’appréhende pas par une seule mesure, sur une seule dimension. Les femmes éduquées réduiront de facto la mortalité maternelle parce qu’enceintes, elles seront suivies par une sage femme ou un gynécologue, qu’elles sauront se protéger pour accoucher normalement, éviter les maladies liées à la grossesse comme les hémorragies, les pré-éclampsies. Pour celles qui ne souhaitent pas entamer ou poursuivre une grossesse, l’éducation les poussera à ne pas accepter des conditions d’IVG épouvantables, à se protéger contre les maladies sexuellement transmissibles, à mettre au monde moins d’enfants mais sains et biens nourris puisque, informées des pathologies infantiles et maladies endémiques - polio, tuberculose, malaria, diarrhées etc.- elles les vaccineront et veilleront à leurs besoins nutritionnels. L’éducation permettra également aux femmes de préserver leurs filles des mariages précoces, des mariages forcés, arrangés, des mutilations génitales féminines comme l’excision.

En termes d’éducation et de socialisation, le rôle des femmes est primordial. Veiller à ce que tous leurs enfants soient scolarisés, qu’ils aient les mêmes droits et les mêmes devoirs, sans la moindre discrimination, dans tous les domaines et particulièrement à la maison, leur inculquer le concept du vivre ensemble : voilà ce qui est important.

En ces temps de radicalisation, les femmes sont aussi les mieux placées pour détecter immédiatement le moindre changement de conduite de leurs enfants et percevoir les premiers signes d’un processus potentiellement engagé. Des études le constatent : en cas de difficultés, les enfants, et particulièrement les garçons âgés de douze à vingt ans, préfèrent s’adresser à leurs mères plutôt qu’à leurs pères. Celles-ci se doivent donc d’acquérir les connaissances suffisantes pour répondre à leurs attentes et contribuer par conséquent à la paix.

En matière de protection de l’environnement, les femmes ont également un rôle fondamental à jouer. A condition qu’elles en aient les compétences. En 2004, Maathai Muta Wangari a été la première femme africaine à recevoir le Prix Nobel de la paix pour sa contribution en faveur du développement durable, de la démocratie et de la paix. Elle a réussi à convaincre les femmes de participer au reboisement du Kenya en orchestrant, dès 1977, un ambitieux programme de lutte contre la déforestation et l’érosion. Les femmes ont gagné leur vie en vendant les plants. En un peu plus de 10 ans, le mouvement de la ceinture verte avait déjà planté plus de 30 millions d’arbres ! Les femmes peuvent faire beaucoup.

L’éducation modifie les mentalités. Égalité des genres, santé pour tous, tolérance et paix, protection de l’environnement, développement économique : la société à tout à y gagner. Si tous les enfants des pays en développement avaient accès à une éducation de base, la croissance mondiale atteindrait 2%. Si ces mêmes enfants avaient accès à une éducation secondaire, la croissance des économies de la planète passerait de 14% avec les seuls garçons à 18% avec les filles. Il faut y aller ! Kofi Annan indiquait que le meilleur investissement que l’on puisse faire, c’est l’éducation des filles et des femmes. Il avait raison. L’éducation renforce la confiance et l’estime de soi, c’est le fondement le plus solide d’une confiance commune partagée, basée sur la liberté et l’indépendance de tous.

 «  Aucun pays au monde n’a jamais atteint le développement durable sans un système éducatif efficace, sans un enseignement primaire solide, universel, sans un enseignement supérieur universel efficient, sans l’égalité des sexes et sans l’égalité des chances en matière d’éducation. », affirmait en 1999 Thabo Mbeki, successeur de Nelson Mandela et président de l’Afrique du Sud de 1999 à 2008. Et les hommes doivent participer du processus dès le départ, comprendre qu’ils ont tout à y gagner. Les femmes sont des partenaires privilégiées. En prônant l’éducation des filles et des femmes, nous ne luttons pas contre les garçons et les hommes, bien au contraire. Si nous construisons des écoles protégées pour les communautés, avec des toilettes séparées, filles et garçons en bénéficieront. Si nous fournissons ne serait-ce qu’un seul repas par jour à l’école, filles et garçons en profiteront - un ventre vide ne tient pas debout. Si nous installons une infirmerie à l’école, il se passera la même chose, hormis pour la  distribution de serviettes hygiéniques où là, oui, les filles gagneront plus. Une tolérance zéro à toute violence de genre ou autre profiterait aussi bien aux filles qu’aux garçons. Il faut également penser à la création de cellules d’écoute et de conseil tant pour les filles que pour les garçons. Je me souviens d’un jeune homme qui était venu me questionner parce que ses seins commençaient à pousser. J’étais son professeur de chimie de Première et il ne pouvait en parler à personne d’autre. Je lui avais répondu que c’était certainement hormonal, qu’il ne fallait pas avoir peur, qu’il devait simplement en parler avec un médecin : « Ne fais rien pour le moment. Va le voir, il va t’aider et te soigner s’il y a des soins à apporter. » Je l’ai rencontré six ans plus tard, il s’est confié : « Vous avez sauvé ma vie ! ». Pourquoi ? lui ai-je demandé.  « Parce que j’allais me suicider. » Les larmes me sont montées aux yeux. Se suicider pour un problème hormonal rapidement résolu par la parole... C’était terrible.

 

Les femmes sont la clé pour atteindre les objectifs de développement durable à l'horizon 2030, à condition qu’elles acquièrent les connaissances et les compétences de base. Il faut qu’elles aient accès à l’internet - dans les dix années à venir, 90% des emplois seront liés au réseau. Elles ne sont ni victimes ni à plaindre, elles constituent de puissants agents de  développement.

Alors pour développer le monde, allons-y pour l’éducation des filles et des femmes !

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