Alors qu’Haïti traverse l’une des crises les plus graves de son histoire récente, l’indifférence n’est plus possible. Dans une tribune publiée par Le Monde, la Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, appelle à un sursaut collectif face à cette urgence humanitaire et sécuritaire, dont les répercussions dépassent largement les frontières haïtiennes.

Dans le flot de crises qui monopolisent l’attention mondiale, Haïti a trop souvent été relégué au second plan, mais détourner le regard est devenu impossible. Près de 90 % de la capitale Port-au-Prince est aujourd’hui sous l’emprise des gangs, et plus de 1,3 million de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer.

Derrière ces chiffres se cachent des réalités brutales : des familles arrachées à leurs maisons, des enfants privés d’école, des femmes et des jeunes filles victimes d’une violence intolérable. Les viols sont désormais utilisés comme arme de terreur. Des écolières sont agressées simplement parce qu’elles essaient de se rendre à l’école.

Entre 2023 et 2024, ces violences ont été multipliées par dix. L’aide humanitaire, elle, reste dramatiquement insuffisante :à peine plus de 10 % des besoins sont aujourd’hui financés, soit le taux le plus bas au monde. Cette situation exige une mobilisation collective à la hauteur de l’urgence humanitaire et sécuritaire qui se joue sous nos yeux.

La crise haïtienne s’étend au-delà des frontières du pays. Port-au-Prince est devenue un carrefour de trafics d’armes et de drogue. Les gangs qui terrorisent la capitale s’approvisionnent à l’étranger, tandis que des réseaux criminels utilisent Haïti comme point de transit vers les Etats-Unis, les Caraïbes et l’Europe. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, près de 423 000 Haïtiens vivaient en 2024 hors de leur pays en tant que réfugiés ou demandeurs d’asile.

L’histoire récente l’a montré : aucun effondrement d’Etat ne reste sans conséquences. La chute de la Libye, en 2011, a déstabilisé le Sahel en offrant un refuge à des groupes djihadistes. La guerre civile en Syrie a déclenché, en 2015, une crise migratoire sans précédent en Europe, tandis que l’invasion de l’Ukraine, en 2022, bouleverse depuis plus de trois ans l’équilibre du continent. Haïti ne peut être considéré comme une tragédie lointaine. Son instabilité constitue déjà un enjeu régional et international majeur.

Des choix politiques courageux

La situation actuelle ne s’est pas créée en un jour. Depuis quinze ans, chaque catastrophe a laissé des cicatrices plus profondes encore. Le séisme de 2010, qui a fait près de 300 000 victimes, a fragilisé des institutions déjà vacillantes. L’ouragan Matthew, en 2016, a frappé un pays toujours convalescent. En 2021, un nouveau tremblement de terre a aggravé la situation, quelques mois avant l’assassinat du président Jovenel Moïse, qui a plongé Haïti dans un vide politique et institutionnel rapidement exploité par les groupes armés. A cela s’est ajoutée une érosion progressive de l’engagement international, marquée par des soutiens parfois fluctuants et une attention inégale, qui ont fini par affaiblir les institutions et entamer la confiance de la population.

En 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya, afin d’aider la police haïtienne à lutter contre la violence extrême des gangs et à rétablir la sécurité. En août 2025, les Etats-Unis, le Canada, le Kenya, la Jamaïque, les Bahamas, le Salvador et le Guatemala ont constitué un groupe de soutien pour renforcer la mission, tandis que l’Organisation des Etats américains appelait à un engagement international de grande ampleur. La Communauté caribéenne (Caricom) et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ont, elles aussi, pris leurs responsabilités. En 2024, la Caricom a contribué à la mise en place du Conseil présidentiel de transition.

A l’OIF, nous avons réuni un comité consultatif sur Haïti en janvier 2024, rassemblant l’ensemble des acteurs engagés aux côtés du pays, avant de déployer, en mars 2025, une mission d’information et de contacts à Port-au-Prince pour dialoguer avec les acteurs politiques et civils. Nous avons également formé 1 300 membres de la MMAS au français et au créole, afin de renforcer leur capacité à interagir avec les communautés locales.

Pour que ces efforts portent leurs fruits, il faut désormais des choix politiques courageux, des financements rapides et une volonté internationale déterminée. Le 25 septembre dernier, à New York, l’OIF et la Caricom ont organisé une réunion de haut niveau sur Haïti, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Ce rendez-vous a constitué un moment décisif, en réaffirmant l’engagement de la communauté internationale en faveur de la consolidation du processus politique de transition, ainsi que sa détermination à renforcer la mobilisation des ressources humanitaires.

Les déclarations d’intention ne suffiront pas. L’heure n’est plus aux hésitations. Il s’agit désormais de traduire ces engagements en actions concrètes – et de démontrer, aux côtés des Haïtiens, que la communauté internationale saura répondre à l’urgence et le fera à temps.


Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie

 

(Tribune parue dans Le Monde - 05/10/2025)
 

SÉLECTIONNÉ POUR VOUS