Dépêchés au Liban à l'occasion des élections législatives du 15 mai 2022, les membres de la Mission électorale de la Francophonie ont dressé le 17 mai un premier bilan de leurs observations et analyses. A retrouver dans la déclaration ci-dessous.


Résumé

 A l’invitation des autorités libanaises, la Secrétaire générale de la Francophonie a dépêché une Mission électorale de la Francophonie à l’occasion des  élections législatives du 15 mai 2022 au Liban.  Cette mission a rencontré les autorités politiques nationales, les acteurs politiques et de la société civile, les responsables d’institutions impliquées dans le processus électoral ainsi que les partenaires extérieurs. L’organisation internationale de la Francophonie avait apporté un appui à l’organisation des élections, en amont du scrutin, et soutenu les organisations de la société civile impliquées dans l’observation des élections. Sur la base de ces échanges et de ses propres analyses et observations du vote des Libanais à l’étranger et au Liban, elle constate que  les opérations de vote se sont déroulées de manière libre, fiable et transparente ;  et que, malgré les incertitudes financières et politiques sur la tenue de ces élections à la date prévue, les dispositions nécessaires ont été prises pour l’organisation du vote dans le respect des obligations légales. Elle relève cependant la faiblesse du mandat et des moyens de la Commission de supervision des élections, qui pèse sur la transparence et l’équité de la campagne électorale, un accès inéquitable des candidats aux médias, un encadrement et un contrôle limités des dépenses électorales, des discours de haine sur les réseaux sociaux visant particulièrement les femmes, ainsi que des allégations d’achat de vote, sensiblement accrus dans le contexte de crise économique, et des intimidations qui visaient notamment des candidats  « émergents ». Le jour du scrutin, le vote s’est globalement déroulé dans le calme et dans le respect des règles prévues à cet effet, malgré plusieurs incidents relevés par les observateurs nationaux. La Mission électorale de la Francophonie invite les acteurs politiques à user exclusivement des voies légales en cas de contestation des résultats du scrutin. Elle exprime la disponibilité de l’OIF à appuyer la consolidation du processus électoral libanais, en lien avec les recommandations qu’elle formulera.


 

Dans le cadre de l’accompagnement des processus électoraux dans l’espace francophone et à l’invitation des autorités libanaises, Madame Louise MUSHIKIWABO, Secrétaire générale de la Francophonie, a dépêché une mission électorale de la Francophonie à l’occasion des élections législatives du 15 mai 2022 au Liban.

Cette mission est conduite par Madame Alda GREOLI, membre de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, Députée au Parlement de Wallonie et au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique). La mission est composée d’experts de haut niveau de différents pays francophones.

Présente à Beyrouth depuis le 9 mai 2022, la Mission électorale de la Francophonie s’est entretenue avec les parties prenantes du processus électoral libanais, notamment les autorités nationales, les responsables d’institutions en charge des élections (Ministère de l’Intérieur et des Municipalités, Commission de supervision des élections, Conseil constitutionnel), les représentants de formations politiques ainsi que des organisations de la société civile. Elle a également échangé avec les membres de la mission d’observation électorale de l’Union européenne et du National democratic institute (NDI) ainsi qu’avec les Ambassadeurs des pays membres de la Francophonie représentés au Liban.

L’Organisation internationale de la Francophonie a également accompagné le processus électoral libanais à travers, d’une part, un appui financier aux institutions en charge des élections (Ministère de l’Intérieur et des Municipalités, Commission de supervision des élections, Conseil constitutionnel), en coordination avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) au Liban et, d’autre part, un soutien financier à des organisations de la société civile libanaise impliquées dans l’observation des élections (Lebanese association for democratic elections, Lebanese transparency association, Maharat).

Conformément à son mandat, la Mission électorale de la Francophonie s’est attachée à évaluer les conditions de préparation et de tenue des élections législatives au Liban, notamment au regard de la Déclaration de Bamako de novembre 2000, consacrée à la tenue d’élections libres, fiables et transparentes dans les pays de l’espace francophone. Pour conforter son appréciation, la Mission s’est appuyée sur une observation des opérations de vote des Libanais-es résident-e-s à l’étranger dans différents pays de représentation de la Francophonie (Belgique, Etats-Unis, France, Gabon, Roumanie, Sénégal, Togo) ainsi que sur l’observation nationale des élections réalisée par les organisations de la société civile libanaise partenaires de l’Organisation internationale de la Francophonie.     

        

Constats

Sur la base des entretiens avec les acteurs rencontrés, de ces observations et de ses analyses, la mission a établi les constats suivants :

  • Ces élections sont intervenues dans un contexte de grave crise économique et financière qui a entraîné des incertitudes sur la capacité du gouvernement à assurer l’organisation des élections et des Libanais-es à prendre en charge leur transport vers leurs lieux de vote ;
  • Elles sont intervenues également dans une situation politique marquée notamment par la mobilisation du 17 octobre 2019 et l’émergence de mouvements de contestation sociale et politique, par les difficultés à former un gouvernement puis à le réunir ainsi que par le retrait de la vie politique de M. Saad Hariri et le refus du Courant du futur de concourir aux élections ;
  • Les incertitudes relatives à la date effective des élections ainsi qu’à l’approbation du budget nécessaire à leur organisation ont également constitué un défi organisationnel pour la préparation tant des élections par les institutions compétentes que de la campagne par les différents candidats ;
  • Le cadre juridique des élections est conforme aux principes de la Déclaration de Bamako. Il a permis aux Libanais-es résident-e-s à l’étranger de s’inscrire et de participer au vote pour la deuxième fois depuis l’adoption de la loi électorale 44 de 2017 dans une proportion beaucoup plus importante que lors des dernières élections législatives de 2018. Cependant, l’incapacité, au niveau national, de voter sur le lieu de résidence notamment à travers la mise en place de megacentres, l’absence de dispositions législatives destinées à assurer une présence significative de femmes sur les listes ou au Parlement, ainsi que le rattachement des femmes mariées au lieu de vote de leur époux constituent des limites du cadre juridique actuel à une participation pleine et libre des Libanais-es aux élections ;
  • Malgré le défi  budgétaire lié à la crise économique et financière ainsi qu’à l’approbation tardive du budget des élections, les dispositions ont été prises par le Ministère de l’Intérieur et des Municipalités pour tenir les différentes échéances du calendrier électoral, depuis l’enregistrement des électeur-rices, des candidat-e-s et des listes, à l’organisation du vote à l’étranger et au Liban en s’assurant de la fourniture d’électricité ainsi que de la mobilisation du personnel électoral et des forces de sécurité pour l’encadrement du scrutin ;
  • La mission a relevé la faiblesse du mandat de la Commission de supervision des élections (CSE) ainsi que l’attribution tardive d’un budget, qui reste insuffisant pour assurer ses missions de supervision de la couverture médiatique et des dépenses de campagne électorales. Le délai contraint (30 jours) dont dispose la Commission pour instruire les comptes de campagnes des listes et des candidats limite également les garanties de transparence et d’équité du processus électoral ;
  • L’accès aux médias a été inéquitable du fait de cette supervision insuffisante de la CSE, et de pratiques tarifaires élevées qui pénalisent les candidats et les listes qui disposent de moins de moyens financiers. Des observateurs ont en outre rapporté à la mission des pratiques d’achat de temps d’antenne en dehors du cadre prévu par la loi 44/2017 sur la publicité politique ;
  • Le manque d’encadrement et de contrôle des dépenses de campagne a été accentué par les difficultés de traçabilité des dépenses de campagnes dans un contexte d’économie liquide amplifié par la crise financière ;
  • Des observateurs ont également rapporté à la mission une campagne nocive sur les réseaux sociaux, caractérisée par des discours attisant la haine entre communautés ainsi qu’à l’égard des femmes candidates aux élections ;
  • Des allégations d’intimidations envers des candidats « émergents » ainsi que des pratiques d’achat de voix ont été rapportés à la mission par plusieurs observateurs nationaux ;
  • Le nombre de femmes candidates sur les listes a augmenté en comparaison des élections de 2018, mais cette proportion reste basse, en l’absence d’un cadre juridique encourageant structurellement la participation politique des femmes aux élections.

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Observations

Le 8 mai 2022, des agents de l’Organisation internationale de la Francophonie accrédités ont observé les opérations de vote des Libanais-es résident-e-s à l’étranger à Bruxelles, Bucarest, Dakar, Libreville, Lomé, New-York et Paris.

Le 15 mai 2022, les membres de la délégation se sont répartis en 2 équipes, qui ont visité une soixantaine de bureaux de vote dans les circonscriptions de Beyrouth 1 et 2, Mont-Liban 1, Mont-Liban 2, Nord 3 et Sud 1. 

Leurs observations ont été complétées par les constats de la Lebanese association for democratic elections, principale organisation de la société civile libanaise d’observation des élections, partenaire de l’OIF, qui a déployé plus de 1 100 observateurs sur l’ensemble du territoire national.

La Mission électorale de la Francophonie relève ce qui suit :

  • Les bureaux de vote ont ouvert et fermé aux heures légales malgré quelques retards relevés;
  • Les bureaux de vote étaient dotés du matériel requis; 
  • Les responsables du bureau de vote démontraient une maitrise relativement bonne des procédures ; 
  • La mission relève que la forme et la disposition des isoloirs dans certains bureaux de vote n’étaient pas toujours de nature à garantir le secret du vote ; 
  • La présence de nombreux observateurs identifiables des partis politiques dans tous les bureaux de vote a, par endroit, influencé leur organisation et le déroulement serein du vote ; 
  • Les forces de sécurité étaient présentes en nombre et de manière visible à l’intérieur comme à l’extérieur des centres de vote, mais sans interférer avec celui-ci ; 
  • Le vote s’est globalement déroulé dans le calme. Des incidents ont néanmoins été rapportés, notamment des violences envers des candidats et des observateurs nationaux, mais ils ne sont pas de nature à entacher la sincérité du scrutin ; 
  • La mission relève les difficultés constatées pour l’accessibilité aux bureaux de vote des personnes en situation de handicap physique, malgré les efforts consentis en ce sens par le Ministère de l’Intérieur et des Municipalités ; 
  • La mission relève la mise à jour régulière du taux de participation et des résultats par le Ministère de l’Intérieur et des Municipalités, qui contribuent à la transparence des opérations électorales ; 
  • La clôture des opérations de vote, le dépouillement du vote ainsi que la compilation des résultats se sont déroulés conformément aux procédures légales, en présence de représentants des partis politiques ;

Ces élections législatives du 15 mai 2022 marquent une étape importante de la vie politique au Liban au regard des multiples crises qu’a traversées le pays depuis plus de deux ans.

La Mission électorale de la Francophonie estime qu’elles se sont globalement déroulées de manière libre, fiable et transparente, en dépit des faiblesses et des pratiques relevées plus haut.

Elle tient à saluer l’engagement du gouvernement libanais pour assurer la tenue de ces élections à la date prévue et le sens civique des membres des bureaux de vote, des forces de sécurité et des électeurs libanais.

La Mission appelle l’ensemble des formations politiques à user exclusivement des voies légales en cas de contestation des résultats et à s’engager à maintenir un climat politique apaisé jusqu’à la proclamation des résultats définitifs, en appelant leurs militants et sympathisants au calme.

Un rapport final sera élaboré à l’issue du processus électoral, qui formulera des recommandations qui viseront à consolider le cadre juridique et le dispositif organisationnel des élections au Liban.

D’ores et déjà, la Mission recommande qu’une évaluation du cadre électoral soit menée à l’issue des élections, en impliquant l’ensemble des acteurs politiques et de la société civile, afin d’améliorer le cadre juridique et l’encadrement financier électoraux, de renforcer la confiance dans l’indépendance et la capacité de la Commission de supervision des élections et dans la transparence et l’équité des campagnes électorales, de garantir une information de qualité et une couverture médiatique équitable, d’accroître la participation des femmes dans la vie politique et d’assurer pleinement le droit des citoyens de choisir librement leurs représentants.

La Mission électorale de la Francophonie rappelle la disponibilité de l’Organisation internationale de la Francophonie à accompagner les institutions et les acteurs politiques libanais dans la mise en œuvre des recommandations qui seront formulées en vue de la consolidation de la démocratie au Liban.

La Mission électorale de la Francophonie voudrait remercier les autorités nationales, les différents acteurs du processus électoral et, d’une manière générale, la population libanaise pour l’accueil chaleureux qui lui a été réservé, ainsi que les facilités accordées à ses membres durant leur séjour au Liban.

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