A l’occasion de la Journée internationale de la Traduction, le 30 septembre 2025, retour sur les actions menées par l’OIF, aussi bien dans les enceintes internationales que dans l'écosystème littéraire francophone, qui contribuent à favoriser le multilinguisme et le dialogue des cultures.
Plus de 7000 langues coexistent aujourd'hui sur notre planète interconnectée. Cette diversité linguistique fait de la traduction bien plus qu'un exercice technique, elle constitue l'une des conditions premières du dialogue entre les peuples et les cultures. L’écrivaine Hemley Boum, lauréate 2025 du Prix littéraire des 5 continents de la Francophonie, la définit ainsi : « la traduction est la mère de toutes les langues, la passerelle ultime. Celle qui rend accessible à l’autre le plus que souvenir, la plus que narration, l’intention au plus près des mots, de l’esthétique. La traduction est un méta-langage qui transcende les appartenances et rend accessible les fils invisibles qui nous relient les uns aux autres, autant de sentiers allant d’âme en âme en enjambant nos contradictions, nos différences. La langue n’a d’intérêt que si on peut la traduire pour soi-même, c’est à dire se l’approprier »*.
L'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) fait de la traduction un véritable instrument de diplomatie culturelle, déployant un écosystème institutionnel qui connecte 321 millions de francophones à travers 90 États et gouvernements membres. Dans l'espace francophone, la traduction opère simultanément sur deux registres complémentaires. Elle assure la découvrabilité des créations littéraires qui reflètent les récits francophones et garantit l'effectivité du multilinguisme dans les enceintes où se négocient les équilibres du monde contemporain et s'élaborent les décisions qui engagent l'avenir de nos sociétés.
Multilinguisme et gouvernance internationale
Dans un environnement multilatéral de plus en plus complexe, le multilinguisme demeure un principe fondamental pour garantir la diversité des perspectives, l’équité des débats et la transparence des décisions au sein des Organisations Internationales et Régionales (OIR). Il permet à toutes les parties prenantes de participer pleinement aux discussions et à la gouvernance mondiale. Les traducteurs et interprètes ont un rôle essentiel à jouer dans ce domaine : celui de médiateurs linguistiques indispensables à la compréhension mutuelle et au dialogue entre les peuples.
Pourtant, malgré l’adoption de politiques linguistiques favorables par de nombreuses OIR, la mise en œuvre effective du multilinguisme reste fragile. Une tendance persistante au monolinguisme, en particulier l’hégémonie croissante de l’anglais comme langue unique de travail, menace la richesse des expressions, la diversité culturelle et l’égale contribution des États membres aux travaux de ces Organisations. À cela s’ajoute la difficulté persistante de diversifier et de renouveler le vivier de traducteurs, d’interprètes et de réviseurs qualifiés, capables de répondre aux exigences des environnements multilingues.
Face à ces constats, l’OIF soutient les OIR dans le renforcement des capacités de leurs personnels et services linguistiques, et ce, depuis plus de deux décennies. Lors du XIXᵉ Sommet de la Francophonie tenu à Villers-Cotterêts (octobre 2024), les chefs d’État et de gouvernement membres de la Francophonie ont affirmé leur volonté de faire du français et du multilinguisme un levier de gouvernance inclusive. La Déclaration de Villers-Cotterêts a reconnu le rôle indispensable des traducteurs et interprètes francophones en tant qu’acteurs clés de la médiation linguistique dans les arènes internationales. Pour traduire cet engagement en actions concrètes, l’OIF déploie deux initiatives complémentaires et structurantes visant à faire du multilinguisme une réalité opérationnelle.
La première initiative consiste en une formation en ligne destinée aux traducteurs et interprètes en exercice, lancée en mars 2025 en partenariat avec l’ISIT (France) et l’Université Gaston Berger (Sénégal), dans le cadre du projet phare de l’OIF « La langue française, langue internationale ». Déclinée en quatre programmes spécialisés, cette formation vise à renforcer les compétences techniques et interculturelles de 40 professionnels sélectionnés parmi 240 candidatures issues de 45 pays. Elle répond à une forte demande de perfectionnement aligné sur les besoins concrets des OIR.
La seconde initiative porte sur la création de la filière « Interprètes-Traducteurs » au sein du Collège international de Villers-Cotterêts (inauguré le 17 septembre 2025, photo ci-contre - ©Alex Tharreau/OIF), lancée lors du même Sommet et mise en œuvre en partenariat avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et la Cité internationale de la langue française. Cette filière ambitionne d’accompagner et de former de jeunes professionnels francophones capables d’assurer une médiation linguistique rigoureuse et inclusive au sein des instances internationales. Intégrée à un dispositif de stages stratégiques, elle vise à répondre aux besoins des organisations internationales, à valoriser les métiers linguistiques et à soutenir les objectifs de la Francophonie en matière de diversité linguistique et de multilatéralisme représentatif.
Dans cette dynamique, on peut également citer le soutien de l’OIF au Consortium panafricain pour un master en interprétation et traduction (PAMCIT), qui vise à promouvoir le multilinguisme par la création d’un réseau de centres d’excellence en Afrique et à faciliter l’insertion professionnelle d’une jeunesse formée et qualifiée dans la médiation linguistique.
La traduction littéraire francophone, architecture d'un dialogue mondial
Dans l'écosystème numérique contemporain où les algorithmes déterminent largement ce que nous lisons, la traduction littéraire dépasse sa fonction première de médiation linguistique pour devenir un outil stratégique de visibilité culturelle. Quand une œuvre francophone accède aux rayonnages internationaux grâce à la traduction, elle franchit certes une barrière linguistique, mais elle conquiert aussi une découvrabilité qui lui était jusqu'alors inaccessible. La traduction devient le socle d'une géopolitique culturelle qui positionne l'espace francophone comme laboratoire du dialogue interculturel mondial.
L'action de l'OIF en matière de traduction littéraire s'articule autour d'initiatives complémentaires qui, ensemble, tissent un réseau de découvrabilité pour les littératures francophones. Le Prix de la traduction Ibn Khaldoun-Senghor créé en partenariat avec l'ALECSO témoigne depuis 18 ans de la vitalité des échanges entre le monde arabe et l’espace francophone. Il récompense l'excellence et il met en lumière des œuvres qui, sans ce tremplin institutionnel, demeureraient moins visibles dans l'espace littéraire international.
Quand Souad Labbize remporte le prix 2024 pour sa traduction du Désastre de la maison des notables d'Amira Ghenim, ou quand Jean-Baptiste Brenet est couronné en 2022 pour sa traduction d'Averroès, ces reconnaissances transforment le statut éditorial de ces œuvres. Elles passent du statut de curiosité de niche à celui de référence légitime, accessible aux nouveaux publics.
Le dispositif d’aide à la traduction littéraire de l’OIF, Tempo Traduction, illustre parfaitement cette approche systémique de la découvrabilité. En soutenant des traductions vers et depuis le français, dans 21 combinaisons linguistiques différentes jusqu’à présent, l'OIF favorise la diversité et démultiplie parallèlement les portes d'entrée vers les littératures francophones. Chaque traduction d'une œuvre primée par le Prix des 5 continents de la Francophonie (photo ci-contre de la lauréate 2025 Hemley Boum - ©Francesco Gattoni) vers une langue partenaire crée de nouveaux circuits de découvrabilité, de nouveaux prescripteurs, de nouveaux publics qui, à leur tour, peuvent devenir vecteurs de diffusion. Cette diversité témoigne d'une conception non-hiérarchique des langues, où le créole cap-verdien dialogue à égalité avec le roumain ou l’arabe. Car la Francophonie, c’est justement la promotion de la culture francophone dans un contexte de multilinguisme.
Les traducteurs littéraires occupent une position stratégique dans l'écosystème culturel francophone, mais fragilisée par la montée de l’intelligence artificielle générative. Leurs interventions permettent l'extension des marchés éditoriaux et l'élargissement des publics pour les œuvres de notre espace. Cette médiation professionnelle constitue un facteur déterminant de rayonnement culturel international. Les traducteurs littéraires contribuent directement aux objectifs de diversité culturelle et de coopération linguistique défendus par l'OIF dans le cadre de ses programmes sectoriels.
A l'occasion de la Journée internationale de la traduction, l'OIF réaffirme ainsi que la traduction représente un mécanisme de découvrabilité, un instrument de justice culturelle et un vecteur de dialogue entre les peuples. Elle constitue l'une des réponses les plus efficaces aux défis contemporains de la diversité culturelle et du multilatéralisme démocratique dans un monde globalisé.
* Source : https://www.passaporta.be/fr/magazine/%C3%A9crire-parce-qu-on-est-libre