Face à l’urgence climatique, une nouvelle génération d’éco-entrepreneurs et de négociateurs francophones se lève, formée et engagée. Soutenu.e.s par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ils et elles développent et exposent des solutions concrètes, que ce soit depuis leur ferme, leur atelier ou les enceintes des négociations internationales.
Quand on prend le temps de l’écouter, la jeunesse francophone nous donne une leçon d’optimisme et d’espoir face aux maigres avancées, voire aux reculs, observés dans la lutte contre les changements climatiques.
Lors de la dernière Conférence des Parties – la CdP30 – qui s’est conclue fin novembre 2025 à Belém (Brésil), le Pavillon de la Francophonie a servi de tribune aux jeunes leaders pour partager leurs initiatives. Une Journée Jeunesse a été organisée sous le thème : « Créativité et employabilité : l’engagement et le leadership de la jeunesse francophone dans la lutte contre les changements climatiques ».
Tirouvi Kaully, 28 ans, était justement à Belém et son enthousiasme est contagieux. Chargée scientifique au ministère de l’Environnement de l’île Maurice, et investie de longue date sur les écosystèmes terrestres et marins, elle a participé aux négociations au sein de la délégation mauricienne, après une préparation soutenue par l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD). « Durant la formation que j’ai suivie à l’île Maurice et au Ghana, les simulations effectuées étaient exactement ce que nous avons vécu à la CdP/COP ! Lors des négociations, en tant que petite nouvelle, j’ai voulu suivre tous les sujets, mais j’ai vite réalisé qu’il fallait vraiment se consacrer à des thèmes bien ciblés, comme le financement. Participer aux négociations demande d’avoir une très bonne compréhension technique des documents, au-delà des seules connaissances scientifiques ou écologiques. La délégation a multiplié les rencontres et s’est serrée les coudes, consciente de représenter un pays souverain. »
D’autres jeunes négociateurs et négociatrices ont été formés par l’OIF-IFDD, comme Vijayalaxmi Vanessa Jumnoodoo, qui travaille aussi au ministère de l’Environnement de l’île Maurice. Elle n’était pas à la CdP30, mais espère s’y rendre un jour, au sein de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) ou du Groupe africain des négociateurs sur le changement climatique (AGN).
« Je pense que c’est vraiment comme négociatrice que l’on peut faire avancer les choses de l’intérieur, parallèlement à la recherche de financements auprès du Fonds vert pour le climat ou du Fonds d’adaptation », explique la jeune femme, tout aussi mobilisée que sa compatriote. « À l’île Maurice, nous avons besoin de financements pour adapter les zones côtières et faire face aux catastrophes comme les cyclones qui ravagent nos côtes, ou les inondations pour lesquelles nous sommes très vulnérables. »
L’action climatique ne se joue pas seulement dans les salles de négociation. D’autres chemins, tout aussi essentiels, contribuent à faire avancer la lutte contre le changement climatique.
Duthie Chancel Mbombet (photo ci-contre), 33 ans, était aussi présente à la CdP30, invitée par l’OIF-IFDD. Elle a participé à l’accueil et à l’orientation des visiteurs au pavillon de la Francophonie en « leur présentant les missions de la Francophonie ». Mais une autre raison l’a menée de son Gabon natal jusqu’au Brésil. Duthie Chancel est une entrepreneuse déterminée qui a fondé DutCh'M, une société de cosmétiques qui valorise la noix de coco dans son intégralité, déchets inclus, en gommages, crèmes corps et visage, baumes à lèvres. « Plus jeune, j’ai subi des moqueries liées à la couleur de ma peau et j’ai voulu tester la dépigmentation, mais j’ai réalisé à quel point c’était dangereux. J’ai eu cette vision de ne pas me détruire, ni détruire l’environnement. »
Accompagnée par la Représentation de l’OIF pour l’Afrique centrale, elle est passée de la « production dans un couloir » à un atelier de fabrication digne de ce nom. Elle est également lauréate du concours de mise à l’échelle des innovations environnementales dans le Bassin du Congo, un dispositif de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) destiné à faire grandir les solutions locales les plus innovantes. Sa participation à la CdP30 lui a permis de recevoir de nombreux conseils sur les plans stratégiques et personnels : « J’ai été orientée vers de nouveaux partenaires, que ce soit pour le packaging ou la recherche de matières premières. »
Son objectif : obtenir toutes les certifications nécessaires au développement de ses produits en continuant d’affûter ses connaissances pour devenir « une championne de la cosmétique environnementale gabonaise ».
Dans un tout autre domaine, une autre femme a pu fièrement représenter la Francophonie à la CdP30 : Hélène Omoy Kombe, 29 ans, diplômée en systèmes informatiques embarqués pour l’Internet des objets (IoT) et possédant de solides connaissances en Intelligence artificielle. À travers sa société HokTech, elle a conçu O’Trid, une poubelle intelligente solaire fabriquée au sein du Fab Lab Éco-Déchets de l’Université Évangélique en Afrique à Bukavu, en République démocratique du Congo (RDC), une infrastructure clé financée par l’UE dans le cadre du PDTIE mis en œuvre par l’IFDD.
À la CdP30, les fonctionnalités de sa poubelle de 1,3 m³ étaient résumées sur un kakemono : O’Trid trie les déchets déposés (plastiques, métalliques, biodégradables et non recyclables), et possède une interface audiovisuelle capable de donner les bonnes consignes tout en encourageant les utilisateurs à gagner des points de valorisation. « Une application complémentaire collecte les données d’utilisation à destination des autorités de gestion des déchets », précise-t-elle.
Hélène veut installer ses O’Trid à Bukavu et dans toute la RDC. « L’Afrique a besoin de se développer et on ne doit pas toujours compter sur les gouvernements. Nous pouvons commencer avec la connaissance que nous avons », assure-t-elle. « Bien sûr que les déchets sont un secteur prometteur : ils doivent être considérés comme une ressource. »
Au-delà des CdP, les initiatives de l’OIF-IFDD en faveur de la jeunesse francophone entrepreneuse s’inscrivent dans un effort constant et soutenu, année après année.
Parmi ces parcours remarquables figure celui d’Amazone Lajoie (photo ci-contre, le 2e à partir de la droite), 28 ans, un jeune homme énergique qui porte bien son nom. Il est le fondateur d’Amazone Renewable Energy Solution (Ares), une entreprise qu’il a créée à Kisangani, en RDC, à partir de « zéro franc ». L’OIF-IFDD l’a soutenu en lui offrant de multiples formations en ligne et en présentiel notamment à Goma en 2022, lui permettant de multiplier ses compétences et les opportunités. Il a participé à la CdP28 à Dubaï.
Son entreprise installe des technologies vertes, principalement du solaire et du biogaz domestique, luttant ainsi contre « l’utilisation abusive des énergies fossiles qui créent des dérèglements climatiques ». L’impact de son engagement est tangible : il emploie aujourd’hui six salariés permanents et 24 journaliers et a déjà aidé une centaine de clients. « J’ai débuté avec des contrats de 700 dollars US, j’en ai aujourd’hui à 20 000 dollars US».
Amazone Lajoie revendique une philosophie claire : « Ce qui nous différencie de la concurrence, c’est que l’on ne travaille pas en priorité pour notre intérêt personnel, mais pour le développement communautaire. On essaie même de faire participer le client dans la définition de ce qu’il souhaite, en termes de consommation énergétique et de choix du matériel. »
La communauté : c’est aussi un mot chargé de sens dans la bouche de Rebetha Charles (photo ci-contre), 27 ans. Elle est la fondatrice de l’entreprise de transformation REB Lokal, basée à Jérémie, dans le sud d’Haïti. Elle a bénéficié des formations de l’OIF-IFDD, notamment sur la rédaction de plans d’affaires et la recherche de partenaires, ainsi que d’un financement, qui lui a permis d’acquérir un moulin.
Agronome, elle s’est donnée pour mission de valoriser le fruit à pain, un aliment clé dont environ 80 % de la production est gaspillée annuellement en Haïti faute de transformation et de conservation. Grâce au moulin, elle a pu augmenter sa capacité de production de farine de 1 à 2 tonnes par jour.
Son action est doublement emblématique : elle assure la sécurité alimentaire et prévient la pollution environnementale causée par la dégradation de ces fruits. Son entreprise compte déjà 25 employés permanents. « En plus de la farine et des chips de fruits à pain, nous proposons 80 produits différents : confitures diverses, beurre d’arachide, poudre de cacao… C’est un véritable challenge de créer ainsi des emplois en tant que femme, car l’on nous répète trop que les affaires, ce n’est pas fait pour nous et que nous serions trop “autoritaires”. J’encourage toutes les femmes à mettre la main à la pâte ! », conclut-elle, dans un sourire lumineux et sincère.
En traversant à nouveau l’Atlantique, nous atterrissons dans la ferme de Maza Abalo Makiye, au nord du Togo. Avant de devenir technicien agropastoral et de fonder sa propre exploitation nommée « La renaissance agricole », il avait cultivé à l’université un solide intérêt pour la recherche.
Grâce à l’initiative Nexus* pilotée par l’OIF-IFDD, il a réussi à mettre au point un engrais vert et un compost élaboré à partir de Tithonia rotundifolia, surnommée « fleur de jalousie ». « Nous avions vu que c’était une herbe qui poussait naturellement. Avec l’Institut togolais de recherche agronomique (ITRA), nous avons cherché comment l’utiliser. » Ses résultats sont spectaculaires : la combinaison d’enfouissement et d’ajout de son compost a permis d’obtenir un rendement jusqu’à 42 fois supérieur sur ses cultures de tomates, par rapport au champ témoin.
Son ambition est de produire 10 tonnes de compost pour la commercialisation et d’exhorter les jeunes à œuvrer pour « préserver les écosystèmes » en se lançant dans l’agriculture durable.
Au Bénin, Hilarion Agbohoui, 26 ans (photo en une), a lui aussi créé son propre centre agroécologique, Save Clime Foundation, en 2022. « Nous produisons des espèces végétales pérennes (cocotier, palmier à huile), des espèces forestières et fruitières, soit 15 espèces différentes en tout », explique-t-il.
Grâce à l’appui de l’initiative Nexus, il a pu être formé à l’agriculture durable et surmonter une difficulté majeure : la raréfaction de l’eau en saison sèche de son exploitation, en effectuant un forage hydraulique à 100 mètres de profondeur. Cet investissement a entraîné un bond spectaculaire dans sa capacité de production : il est passé de 15 000 à 150 000 plants d’espèces végétales pérennes. Il emploie 10 personnes, dont 6 femmes.
« J’ai l’impression d’être passé à une nouvelle dimension. Je ne pense plus au lendemain, mais à 5-10 ans. Je réfléchis à mes impacts sur l’environnement : atténuer les effets du changement climatique, restaurer les sols, séquestrer le carbone », confie-t-il. « Dans les autres pépinières, les prix varient alors que nous proposons aux communautés des prix bas et fixes. Cela dans l’intérêt des communautés et des générations futures. Nous avons en effet formé 2 500 jeunes dans notre communauté rurale aux pratiques agricoles durables. La promotion de l’agriculture durable, cela va vraiment au-delà de simplement planter ! ».
Enfin, Moselyn Jean (photo ci-contre), 33 ans, président de l’organisation Fair World Builders en Haïti, a bénéficié de l’appui de l’OIF-IFDD pour deux projets. En 2022, il a mené une consultation auprès de près de 13 000 jeunes sur les Objectifs de développement durable (ODD). Plus récemment, il a appuyé 250 organisations locales via le projet de préparation Readiness, un dispositif conçu pour leur permettre d’acquérir les compétences et mécanismes nécessaires à l’accréditation auprès du Fonds vert pour le climat.
Une initiative vitale : « Nous faisons partie des plus vulnérables face aux effets du changement climatique. La moindre intempérie a des conséquences catastrophiques. Le peuple est livré à lui-même ; il doit être en mesure de montrer qu’il est capable d’implémenter des actions concrètes au niveau national. »
Des innovations d’Hélène aux pratiques agroécologiques d’Hilarion et de Maza Abalo, des ressources valorisées par Rebetha et Duthie-Chancel aux projets d’énergie verte d’Amazone, en passant par les compétences diplomatiques et engageantes de Tirouvi, Vijayalaxmi et Moselyn, la Francophonie confirme qu’une approche intégrée constitue la voie la plus efficace pour renforcer la résilience climatique de la jeunesse francophone.
Ce que confirme Jean Lemire, émissaire aux changements climatiques et aux enjeux nordiques et arctiques pour le Québec. Son gouvernement est associé de longue date à l’OIF-IFDD** sur les initiatives en faveur de la jeunesse et du climat : « La vision du Québec repose sur la conviction que les jeunes sont des acteurs importants de l’action climatique et de la transition vers un avenir durable. Au sein de l’espace francophone, nous souhaitons amplifier leur voix, soutenir leur capacité d’innovation et créer des passerelles pour qu’ils puissent influencer les décisions. Miser sur la jeunesse, c’est investir dans des solutions courageuses, inclusives et ambitieuses qui façonneront le monde de demain. »
*L’initiative Nexus (2023-2027) est conçue et mise en œuvre par l’IFDD, organe subsidiaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), avec le soutien financier du gouvernement du Québec, dans le cadre du Plan pour une économie verte 2030. Elle apporte aux jeunes francophones du Sud un appui aux démarches innovantes d’adaptation et de résilience aux changements climatiques par la mise en place et la vulgarisation d’approches endogènes, intégrées et vertueuses axées sur les synergies positives entre l’agriculture, le climat, l’eau, l’énergie et la biodiversité.
**Depuis 2017, le Québec est associé à l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD) et aux Offices jeunesse internationaux du Québec (LOJIQ) pour mettre en œuvre l’Initiative jeunesse de lutte contre les changements climatiques (IJLCC). Depuis le lancement de l’initiative, près de 24 078 jeunes issus du Québec et des pays visés ont pu participer à 132 activités déployées par les deux organismes de mise en œuvre.